C’est son histoire. Chacun vit ça différemment mais je ne résiste pas à l’envie de partager.
Je ne sais pas quand j’ai commencé à détester mon corps mais je sais quand j’ai décidé d’arrêter. C’était quelque part sur le chemin du retour, en massacrant à tue-tête Hotel California. J’ai tout à coup pris conscience du temps et de l’énergie gâchés pendant toutes ces années, pour rien !
J’avais eu plusieurs fois envie par le passé de poser pour un photographe pour tenter de me réconcilier avec mon propre corps mais un peu comme on rêve de tout ce qu’on ne pourra jamais faire. Mais la même pensée m’arrêtait à chaque fois : et si les photos ne montraient finalement rien de plus que ce que je voyais déjà ? et si elles ne faisaient que confirmer ce que je pensais déjà de moi ?
Jusqu’au jour où j’ai sauté le pas… Il cherchait des modèles, j’ai répondu « allez, moi je veux bien ! » avant de réfléchir, avant de renoncer. Quand il m’a demandé si je connaissais déjà le genre de photos qu’il faisait, j’avoue que j’ai menti, j’ai répondu que non. En réalité, je connaissais ses photos depuis quelques temps, mais j’ai eu peur de sa réaction, le fameux « pour quel genre de fille je vais passer ??? » et je n’ai pas assumé. Le soir, je suis rentrée chez moi la trouille au ventre, en me maudissant de lui avoir répondu. Mais pourquoi ? Pourquoi j’avais fait ça ?! On a commencé à discuter, de ce que je cherchais, de ce que j’étais prête à faire (« pas du nu ! »). J’aimais sa démarche, j’appréciais la manière dont il parlait des femmes et de leurs corps, tout ce qui ressortait de remarques anodines qui finalement en disent long sur qui on est. Plus le temps passait et plus j’alternais entre « j’ai bien fait de le contacter, je vais le faire et ça me faire beaucoup de bien » et « mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu, je suis complètement cinglée, jamais je pourrai faire ça !!! ». Et puis toujours les mêmes questions qui me rendaient folles : « et si j’arrive là bas et qu’au bout de trois photos, il me dit que non en fait, ça va clairement pas le faire ? » « et si finalement, je me déshabille et que je vois le même dégoût dans son regard que dans le mien ? »…
La veille, j’ai mis des heures à m’endormir, j’étais partagée entre l’excitation et la peur. La trouille a pris le dessus pendant l’installation du matériel, et au premier clic, j’ai cru que j’allais me trouver mal. Je me sentais empotée, je ne savais pas quoi faire de mes bras, de mon corps, j’avais beau être habillée, j’ai bien cru que j’allais renoncer au bout de cinq minutes. Il me posait des questions, et je voyais bien qu’en essayant de me faire parler, il cherchait à me distraire de ma peur, mais ça ne marchait pas. J’ai l’habitude de penser à plusieurs trucs en même temps, et j’étais largement capable d’être morte de trouille tout en répondant de façon cohérente à ses questions. Au moment où j’allais lui dire que j’avais changé d’avis, qu’en fait, je serai pas capable de continuer, il m’a expliqué une pose et je me suis dit « bon allez, je fais celle là, et après j’arrête ». Et au bout de 5 minutes – et 5 minutes, immobile, en silence dans une pose inconfortable, croyez-moi, c’est très, très, très long ! – j’étais finalement prête à en faire une de plus, puis une autre. Et ce que je craignais le plus – me déshabiller – s’est finalement passé naturellement, en douceur et sans que j’en prenne vraiment conscience. Assez rapidement, je me suis sentie à l’aise, j’étais bien, je passais un bon moment.
A la fin, je lui ai demandé à voir un peu les rushes, et… j’ai reçu une grande claque. Pourtant c’était moi, c’était mon corps, mais comment c’était possible qu’il ait l’air tellement différent sur cet écran d’ordinateur que dans mon miroir ??? Maintenant j’attends avec beaucoup de patience – non, j’déconne ! – de voir les photos traitées.
Et si je ne devais retenir qu’une seule chose de cette journée, c’est le profond respect qu’il a eu pour moi tout au long de la séance, et pas seulement dans ses paroles. Même si je posais nue, j’étais couverte entre chaque pose (et pas juste parce que j’avais froid !), j’ai pu me changer et me déshabiller dans une pièce à part, il était mine de rien toujours de dos ou très très concentré sur son flash à chaque fois que je prenais une pose – qui m’ont toujours été proposées d’ailleurs et jamais imposées. Ca peut avoir l’air anodin, mais ça ne l’est pas.
Et depuis ? J’ai constaté quelques changements. J’ai pris conscience que je me tenais tout le temps voûtée, que je marchais systématiquement en regardant mes pieds, et j’essaie de corriger tout ça. Parce que, sans en être au point de vouloir m’afficher, je n’ai plus envie de me cacher, je n’ai plus le sentiment de devoir m’excuser d’être là. J’ai désormais battu mon record du nombre de jours passés sans une seule remarque négative à moi-même devant ma glace (pas même un petit « ugh, mais c’est quoi cette tête ? »). Je me surprend même quelques fois à me dire que je suis belle aujourd’hui ! Et j’attends avec impatience l’été, pour m’autoriser enfin à porter certaines tenues que je n’avais jamais osé mettre !
Et puis, le hasard de la vie m’a fait un petit clin d’œil quand j’ai reçu une petite carte qui disait « You were born to be real, not to be perfect… because if you’re not yourself, who will ? »